Carlotta

Comment les personnages de Carlotta, madone de l’illustration, ont quitté la surface plane de l’édition pour venir enrichir notre imaginaire et l’univers des marques.

Eric Valz

le trait du luxe

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Les esquisses de Carlotta interpellent tous ceux qui croient à l’impact du trait de crayon dans un environnement saturé d’images. En luxe, Carlotta, aussi fâchée avec les dates que ses personnages avec le temps – il n’a aucune emprise sur eux –, déambule sans fin comme un Minotaure dans son labyrinthe. Ici, le talon aiguille a remplacé la corne, la création, le fil d’Ariane. Son maître n’est pas Minos mais le tout aussi légendaire YSL, « pour le noir et blanc », précise-t-elle.

Carlotta et ses créatures se confondent : « Je me dessine en rêve. Mince, noire, élégante, musclée, en homme, en ronde. » On la retrouvera ainsi, au fil des ans, grandeur nature, « over the world », dans toutes les boutiques Burberry, en ombres chinoises animées sur onze vitrines du Printemps, aussi à l’aise sur le toit d’une DS3 en façade haussmannienne que sur les plages ensoleillées des dépliants Lancaster. Il n’y a pas que sur Paris Première qu’elle fait son cinéma, multipliant les rôles. Elle est fée à La Grande Epicerie, Mlle Jacquard au Jacquard français, valseuse ou fashionette ailleurs et couvre aussi bien la vogue des tendances food que les linéaires de la distribution sélective (Sephora). La pub l’adore car son traité est profondément aspirationnel en un environnement – Paris – glamour, sensitif et positif. Les créatures de Carlotta respirent l’appétit et créent l’envie. Elles suscitent le désir, donc la consommation.

Une maison qui utilise Carlotta prend l’initiative d’être vue. La presse aussi le sait, de Elle aux webzines les plus pointus. Idem en édition, d’Albin Michel à l’Imagerie d’Epinal, de Fleuve noir à J’ai lu, du Chêne à Parigramme… Le trait de Carlotta génère la proximité.

Pour le saisir, il faut dépasser le rendu et le discours de la méthode : « Mon traité est le plus économique possible. J’utilise peu de couleurs. Moins on en met, plus c’est luxueux. Je traite de la même façon les enseignes du luxe ou popu. » Son but est de réaliser « une image graphique et jolie qui séduit – c’est la définition du stylisme ». Nous y voilà, au stylisme, à la simplicité du rendu qui dégage une « allure », dirait Paul Morand. Qui fait que tout ce qu’elle touche fait mouche, à l’image de sa mouche, tout près de sa bouche. Qu’elle pointe avec gourmandise grâce à son crayon eye-liner – un Rotring toujours – pour une banque, un parfum ou une (grande) épicerie.

« Carlotta, pour paraphraser Henri Haget (“Banier, cette histoire m’assomme”), c’est une héroïne balzacienne. À peine sortie de l’adolescence, sa beauté d’ange brun renverse les mythes. » Soit moult milieux et secteurs d’activité que, par la magie du dessin, elle transforme en univers. Elle bouscule l’icône Kiraz – Jour de France, s’il vous plaît, la danseuse de Marcel Dassault – non par le cul, mais par le trait.

C’est en réelle after baby-boomeuse qu’elle traverse les seventies, du Palace au Sept. Sans donc aucun ganglion de régénération morale. Inapprochable, c’était la copine de Gérard Lefort dont nous buvions tous, ados, la prose dans Libé. Vénération. Un trait qui chaloupe, perché à l’époque sur des Jourdan – Louboutin n’existait pas. Un style, porté par l’écume de la Nouvelle Vague et le cours Berçot. De la Nouvelle Vague, elle saisit la vision de Bertrand, L’Homme qui aimait les femmes (François Truffaut, 1977) ; du cours Berçot, elle affûte ses ciseaux de styliste qui réinventent sa propre silhouette.

Une silhouette qui vibre et qui ne semble exister, comme Pascale Ogier – héroïne rohmérienne disparue en pleine jeunesse, après une ultime soirée au Palace –, que par elle-même : lorsqu’elle bouge sous les feux de la nuit, elle pense. Dans la so frenchie Carlotta que vénèrent les Japonais, flotte un monde (ukiyo-e) où s’entremêlent à mon cœur égaré Loulou de la Falaise et Niki de Saint Phalle. C’est qu’à l’égérie du contenu des marques s’additionne une silhouette unique et aristocratique. Un dessin comme une phrase littérale, celle de la description de la duchesse de Guermantes, dont la ponctuation est le nez et le sein en virgules. Et toujours, ce regard étiré vers l’ailleurs, une œillade en forme de poisson vif argent, échappé du banc, porté par le courant chaud du Gulf Stream.

Dans mes multiples vies – les journalistes en ont plus que les chats­ –, je l’ai croisée maintes fois, Carlotta. J’ai embrassé ses joues saveur calissons d’Aix (Calimini’s d’Aix & Terra), je l’ai appréhendée en culotte et chaussettes pour Dim dans les linéaires, à poil même pour ses vœux, restés mémorables, en 2013. Elle sait conserver en toutes circonstances sa folle allure. Libre, indépendante et, de fait, muse.

En regardant sous ses jupes, j’ai saisi son essence : Carlotta dessine depuis si longtemps que son trait, à proximité de l’universel, a fini par le réfléchir. Ce reflet ouvre chacun à une autre conscience de lui-même. Un lacanien dirait qu’en toute conscience du Je, Carlotta dessine non pas tant l’objet mais le regard sur le Moi (qui relève de l’image et du social). Comme une vraie voyageuse, en somme, qui s’intéresse plus au périple qu’à la destination finale. Une image psychique, sensible, qui oublie très vite la surface plane. Car Carlotta est à la fois dessinatrice et styliste. Qui montre, vêt et anime cet autre moi-même qu’est l’autre. La très empathique Carlotta a profondément le goût des autres. En ouvrant Parisiennes – coloriage – by Carlotta chez Parigramme, puis en utilisant ses crayons de couleur, c’est lui-même que l’enfant enjolive. Et ça, c’est unique.

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